C’est encore arrivé aujourd’hui. On m’a encore lancé la phrase qui a le don de me faire grincer les dents, mais qui débouche souvent sur de belles discussions. On m’a dit que je n’avais pas l’air autiste. C’est l’une de mes collègues qui m’a fait cette remarque après que je lui ai expliqué pourquoi j’avais droit à un horaire allégé à l’Université. Suite à son commentaire, mon étonnement a dû se lire sur mon visage puisque ma collègue a tout de même précisé que j’avais quand même l’air pas tout à fait normal, mais vraiment pas autiste. Elle m’expliqua alors que son cousin de trois ans était autiste et que je ne ressemblais pas à ça. Les spécialistes ont donc dû se tromper sur mon cas.
À mes yeux, son commentaire était absurde, mais je sentais qu’elle était tout de même très sérieuse. C’est donc avec le plus grand sérieux que je lui répondis que c’était assez normal qu’une femme de 23 ans ne ressemble pas à un jeune garçon de trois ans même s’ils ont le même diagnostic. Autiste ou pas, un enfant n’aura pas les mêmes capacités et les mêmes caractéristiques qu’un adulte. C’est normal puisqu’on évolue, qu’on apprend et qu’on se développe avec les années. Et, étonnement, les personnes autistes sont aussi touchées par ce processus. On n’est pas épargné de ça !
Après ma courte explication, ma collègue est demeurée sceptique. Pour mieux comprendre, je lui ai demandé, dans sa tête, ça ressemble à quoi une femme autiste de mon âge? Finalement, elle m’a avoué n’en avoir aucune idée. C’est comme si on n’existait pas. Ou plutôt, elle n’avait jamais réfléchi à l’existence des adultes autistes. Je considère que c’est un peu normal quand on pense aux représentations de l’autisme dans les médias. On montre souvent de jeunes enfants. On parle de leur réalité et de celles de leurs parents. Par contre, on présente plus rarement le portrait de ces mêmes enfants devenus grands. Pourtant, je peux vous garantir que nous ne sommes pas que des créatures mythiques. On existe réellement, mais on ne possède pas d’écriteau pour révéler au monde notre différence. Et, on existe surtout d’un millier de manières différentes. C’est pourquoi on ne peut pas dresser une image type du parfait autiste.
Après mon beau discours, je me suis fait assommer par la phrase qui tue : «Mais, tu réussis bien et t’as pas de difficultés… » J’ai alors poursuivi en avouant que c’est vrai que je réussis bien présentement dans mes études, mais que ça n’invalide pas mon diagnostic. Par contre, j’ai certaines difficultés liées à l’autisme, mais qui ne sont pas nécessairement visibles. C’est précisément pour cette raison que mon parcours scolaire n’est pas traditionnel dans sa durée et que j’ai droit à certaines adaptations. C’est pour me permettre d’atteindre mon niveau de fonctionnement optimal dans le but de bien réussir. J’ai quand même précisé que, mon autisme, ça n’entraine pas juste des difficultés. Cette manière de percevoir le monde, elle vient aussi avec son lot de forces sur lesquelles je peux m’appuyer pour progresser.
Finalement, la discussion s’est poursuivie et j’étais satisfaite de la manière dont elle s’est terminée. J’avais vraiment l’impression que ma collègue comprenait mieux ma réalité et j’étais contente de constater qu’elle avait eu l’ouverture d’esprit nécessaire pour faire évoluer son opinion. C’est encourageant parce que ce type de conversation est la preuve que rien n’est figé et que les préjugés ne sont pas des fatalités. Et puis, j’admets que ma collègue avait raison sur un point, je n’ai pas l’air autiste, mais, c’est simplement parce qu’avoir l’air autiste, ça n’existe pas. Par contre, plus les années passent, plus je trouve que j’ai l’air de moi.