Un nombre croissant de patrons à travers le monde recrute des personnes porteuses du syndrome d'Asperger. Quels sont les atouts et les faiblesses de ces salariés ? Dans quelles mesures peuvent-ils s'épanouir dans le monde du travail ?
par Héloïse Junier. Paru dans "Le Cercle Psy", Janvier-Février 2016
Début avril 2015, à l'occasion de la Journée mondiale de sensibilisation à l'autisme, le géant américain Microsoft a officialisé le lancement d'un programme pilote de recrutement des personnes avec autisme (1). Deux ans plus tôt, en 2013, la société allemande SAP, spécialisée dans l'élaboration et la commercialisation de logiciels de gestion, a annoncé vouloir recruter, d'ici 2020, 650 personnes autistes, soit près de 1% de son effectif mondial. Les missions qui leur sont confiées ? Programmer, tester, évaluer la qualité des produits et des logiciels. Ces deux projets, comme d'autres à travers le monde, sont conduits en partenariat avec le danois Specialisterne (2), première ONG au monde à s'être spécialisée dans l'insertion professionnelle des personnes avec autisme. Celle-ci fut fondée par Thorkil Sonne, lui-même papa d'un enfant autiste et anciennement président de l'association Autisme Danemark.
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Les Asperger sont réputés pour leur mode de pensée créatif. Face à un problème, ils parviennent intuitivement à trouver des solutions inédites.
Ils parviennent intuitivement à trouver des solutions inédites qui n'auraient peut-être pas été envisagées par d'autres. Enfin, ces neuro-atypiques sont également décrits comme très ponctuels et performants dans la gestion des délais. Un florilège d'atouts bénéfiques à un environnement professionnel. Sauf que. Il y a un mais. Car les choses se gâtent lorsque l'on s'immisce dans le domaine de la communication et de l'adaptabilité. « Les Asperger ont de réelles difficultés à travailler en groupe, à saisir les règles implicites d'une entreprise. Ils témoignent d'une certaine naïveté sociale et d'une absence du sens de la compétition. Si leur savoir-faire est bon, leur savoir-être, lui, leur fait défaut à travers tous les moments sociaux informels entre collègues », souligne Julie Dachez.
Les Asperger, qui s'avèrent peu flexibles et peu adaptatifs, manifestent également des difficultés à accepter les changements : « Par exemple, si du jour au lendemain on annonce à un salarié Asperger qu'il va changer de bureau, il ne sera pas du tout à l'aise ! », complète-t-elle.
Logiquement, si un Asperger atterrit dans une entreprise qui compte une majorité d'open-space, de pauses cafés où l'on papote de la pluie et du beau temps, et de réunions sempiternelles pleines à craquer de cravateux arrivistes, l'issue risque d'être épineuse. Par définition, un Asperger est en inadéquation avec la majorité des modèles d'entreprises actuels qui favorisent l'esprit de convivialité et les échanges entre salariés : « Quand un environnement est trop bruyant, où il y a par exemple trop de va-et-vient, notre cerveau est en surcharge à cause de toutes ces informations sensorielles qui nous parviennent et que nous ne parvenons pas à filtrer. Nous pouvons ressentir de l'anxiété, de l'angoisse, une grande fatigue et des surcharges sensorielles qui peuvent finir par entraîner des absences répétées » . Comme d'autres Asperger, Julie Dachez éludait à tout prix les temps et espaces conviviaux avec ses collègues. « Il nous est très difficile de nous épanouir dans toutes ces pauses café, open space et brainstormings ! ceci dit, malgré mon malaise, j'étais obligée de me conformer à certains rituels d'entreprise.»
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Une insertion professionnelle périlleuse
Quelques organisations, en France comme à l'étranger, jouent les intermédiaires entre les Asperger et les recruteurs, les accompagnent dans leurs premiers pas, élisent des référents au sein de l'entreprise. « Je pense que cette perspective est une chance pour les Asperger, s'enthousiasme Julie Dachez.
Avoir un tuteur qui peut aider à l'aménagement de notre poste de travail et nous accompagner dans notre inclusion sociale auprès de nos futurs collègues est une aide précieuse. Il s'agit d'un membre de l'entreprise, qui n'a idéalement aucun lien hiérarchique, une personne de confiance bienveillante qui va être là pour répondre à toutes nos questions et nous guider. Celui-ci va nous permettre de mieux connaître les règles implicites de l'entreprise. Si le poste est aménagé, le salarié Asperger a toutes ses chances d'être épanoui. Et si en plus, le domaine d'expertise correspond aux intérêts de la personne, alors c'est la cerise sur le gâteau ! »
DANS L 'HEXAGONE
Depuis quelques années, de telles initiatives se développent dans nos contrées. C'est notamment le cas du dispositif expérimental lillois « Pass p'As » (6), fruit de la collaboration entre le Centre lillois de rééducation professionnelle (CLRP) et le Centre Ressources autisme du Nord-Pas-de-Calais (CRA). « Il faudrait avoir au moins une cellule de ce genre par région. J'espère que ce n'est pas qu'un effet de mode et que ces dispositifs vont se multiplier » souligne Julie Dachez. Pour autant, l'hexagone reste à la traîne par rapport à ses voisins européens et outre-Atlantique. Et pour cause, l'autisme, qui y est particulièrement méconnu, fait claquer des dents les patrons. Les entreprises sont très frileuses et s'imaginent toujours que cela va être coûteux et nécessiter pléthores d'aménagements.
Celles-ci ne touchent aucune compensation financière lorsqu'elles embauchent une personne en situation de handicap, en l'occurrence un Asperger. En revanche, elles doivent verser des compensations financières à l'AGEFIPH si elles ne le font pas. Depuis la loi du 10 juillet 1987,toute entreprise de 20 salariés et plus, qu'elle soit privée ou publique, a l'obligation d'employer au minimum 6 % de personnes en situation de handicap.
« Malgré cette obligation on ne dépasse malheureusement pas les 4 % d'emploi direct et indirect des personnes en situation de handicap, un taux stable depuis 10 ans », souligne Julie Dachez.
Finalement, un salarié Asperger peut-il réellement se sentir intégré dans une entreprise une fois qu'un aménagement spécifique lui aura été proposé?
« Si l'on parle de s'intégrer au sens de pouvoir y travailler, alors la réponse est oui ! En revanche, si l'on parle de s'intégrer au sens social du terme, pour moi ce n'est pas tant la réponse qui importe que la légitimité de la question, souligne Julie Dachez.
Attendre d'une personne dont le handicap est avant tout social qu'elle socialise à tout prix sur son lieu de travail ne relève-t-il pas d'une volonté normative et validiste ? Or, c'est justement cet état d'esprit là qu'il faut dépasser. Ne pas attendre de l'autre qu'il rentre dans un moule, mais l'accepter pour ce qu'il est, avec ses possibles et ses limites. »
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