Informatique : ils recrutent des autistes pour être plus compétitifs
Informatique : ils recrutent des autistes pour être plus compétitifs
Florencia Rovira Torres | Journaliste
Le 21 mai, l’entreprise multinationale d’informatique SAP a publié sur son site un communiqué intitulé « SAP va travailler avec Specialisterne pour l’emploi des autistes ».
Le leader mondial sur le marché de logiciels d’entreprise annonce ainsi qu’il va employer des autistes pour tester des logiciels, programmer, et vérifier la qualité de ses produits. Il s’agit, dit le communiqué, « d’œuvrer pour un monde meilleur » et « d’améliorer la vie des gens », mais pas seulement. SAP voit aussi un « avantage compétitif potentiel » dans les « talents uniques des personnes autistes ».
Après une première expérience au sein de ses laboratoires indiens, SAP a déjà embauché six autistes et annonce son nouvel objectif : à terme, la part de personnes atteintes d’autisme représentera un pour cent de son personnel.
Une capacité de concentration hors normes
SAP n’est pas la première société à découvrir l’intérêt d’embaucher des autistes. La société allemande Auticon par exemple ne recrute que des personnes touchées par le syndrome d’Asperger – un type d’autisme particulier – pour tester des logiciels.
Tilman Höffken, son porte-parole, explique :
« Ils ont une capacité très particulière à se concentrer sur quelque chose. Ils ont une disposition unique pour trouver des erreurs dans du code de programmation par exemple. »
L’entreprise allemande, créée il y a un an et demi, se développe rapidement. Elle compte 22 salariés dans trois villes différentes, et entend doubler ses effectifs. Parmi ses clients elle compte Vodaphone, le géant de la téléphonie, ou la grande banque Bayern Bank.
Des autistes dits de « haut niveau »
L’autisme est un trouble du développement neurologique qui affecte les aptitudes à la communication, aux interactions sociales. Mais les formes d’autisme sont très diverses, et l’on parle volontiers du « spectre autistique » pour décrire des troubles d’ampleur et de nature très variées.
Environ 30% des autistes n’ont pas de retard mental. Ces autistes dits « de haut niveau » peuvent avoir des capacités cognitives très développées.
0100101001101111011000... Cherchez l’erreur
Pour mener son opération de recrutement d’autistes au sein de ses structures dans le monde entier, SAP s’appuie sur Specialisterne, première entreprise au monde à s’être spécialisée dans ce créneau.
Celle-ci met en valeur les compétences uniques de ses salariés, comme en témoigne ce slogan précédé d’une longue série binaire de 0 et de 1 : f
« Si vous pouvez voir l’erreur, alors vous n’avez pas besoin de nous. »
Une des publicité de Specialisterne
Specialisterne a été créée par le danois Thorkil Sonne, en 2003, afin d’offrir des emplois à des personnes comme son fils, autiste, et de faire valoir leurs capacités extraordinaires. Aujourd’hui, l’ex-start-up est implantée dans cinq pays et ambitionne de faire embaucher un million de personnes autistes dans le monde.
Ses salariés autistes travaillent souvent comme consultants pour le compte d’entreprises clientes. Ils assurent une grande série de tâches, de la saisie de données au développement des algorithmes des logiciels.
C’est une entreprise presque commme une autre, m’explique Steen Thygesen, PDG de l’entreprise, au téléphone :
« Si vous venez nous rendre visite, vous verrez que nos bureaux sont tout à fait ordinaires. Nous avons fait quelques adaptations au niveau de la lumière et de l’acoustique, pour pallier l’hypersensibilité de nos salariés. »
Quelles sont les compétences minimum requises ?
« Se déplacer pour venir travailler, être capable de se concentrer sur une tâche spécifique. »
Préparation en amont et coaching
Si les particularités de l’espace de travail chez Specialisterne ne sont pas détectables, elles recèlent la clé de l’insertion professionnelle des personnes ayant des troubles autistiques.
Il s’agit de prévenir ce qui peut leur poser problème, et qui a toujours un lien avec le relationnel : la communication avec autrui.
L’entreprise a développé un ensemble de connaissances et de bonnes pratiques pour les amener à déployer le mieux possible leurs compétences.
« Il faut apprendre à interagir avec des salariés autistes, savoir les soutenir, les comprendre. Nous faisons attention à leurs besoins spécifiques. »
Specialisterne n’envoie pas ses consultants travailler chez des clients sans préparation, comme l’explique Steen Thygesen :
« Nous commençons par sonder le terrain et regarder comment est organisé le travail habituel du lieu de travail. Ensuite nous informons les chefs de projets et les collègues sur l’autisme. »
Specialisterne n’envoie pas ses consultants travailler chez des clients sans préparation, comme l’explique Steen Thygesen :
« Nous commençons par sonder le terrain et regarder comment est organisé le travail habituel du lieu de travail. Ensuite nous informons les chefs de projets et les collègues sur l’autisme. »
Le consultant autiste peut toujours compter sur le soutien d’un « coach », qui peut intervenir en cas de besoin.
Cela fait aussi partie de la boîte à outils de l’entreprise allemande Auticon. Tilmar Höffken en donne un exemple :
« La première fois qu’un de nos consultants est arrivé sur son nouveau lieu de travail, chez un client, il est resté devant l’accueil très longtemps : il avait des difficultés à s’adresser au réceptionniste. Si on ne sait pas qu’il s’agit d’une personne avec un syndrome d’Asperger, on peut trouver la situation très bizarre, voire inquiétante. On a réglé ce petit problème en lui rédigeant une lettre qu’il montre à l’accueil à chaque fois qu’il doit entrer dans le bâtiment. »
Les entreprises françaises ont peur
Pour Steen Thygesen, de Specialisterne, la demande d’experts autistes ne fait que s’accroître :
« Nos expériences en Inde nous ont montré que la productivité augmente dans les équipes où l’on a des salariés autistes. L’expérience du côté des autres collègues est extraordinaire : ils nous racontent qu’ils voient désormais le monde sous un angle différent. »
Si le recrutement de personnes autistes a du succès dans des pays comme l’Inde, le Danemark et l’Allemagne, le monde de l’entreprise française semble beaucoup plus réticent. C’est du moins ce que constate Alain Monot, vice-président de l’association Autisme 13 Arco Iris, la seule initiative française comparable à Specialisterne ou Auticon :
« En paroles, les entreprises se montrent très positives quant à l’insertion professionnelle des personnes handicapées. Mais quand on les met au pied du mur, elles partent à reculons ! »
« De peur de les inquiéter »
Cette association de parents d’enfants autistes de Marseille travaille pour persuader les entreprises d’embaucher des jeunes atteints du syndrome d’Asperger, syndrome caractérisé par l’absence de retard cognitif ou du langage.
En 2009, Alain Monot, ingénieur de profession, et d’autres parents ont créé une nouvelle activité commerciale au sein de l’association, afin de fournir des services informatiques à des entreprises.
Ces services étant assurés par trois jeunes hommes Asperger ayant fait des études scientifiques. Alain Monot, aujourd’hui à la retraite, raconte :
« Pour plusieurs d’entre nous, l’informatique, c’était notre métier. On connaissait le domaine. On a commencé par aller chercher des clients. Puis on a fait des analyses de ce qu’ils cherchaient comme services. »
Sans préciser aux clients que les prestataires étaient autistes, « de peur de les inquiéter ».
« Les clients s’en sont rendu compte au bout d’un moment. »
Aujourd’hui, deux de ces trois jeunes sont salariés en entreprises.
« On leur a donné les premières marches pour se lancer dans le monde du travail. »
« C’est le mot “autiste” qui pose problème »
L’association Arco-iris examine à présent la possibilité de créer une entreprise solidaire dans le but d’augmenter les chances d’embauche des jeunes Asperger. Mais Alain Monot déplore les réticences des employeurs, qu’il attribue à une ignorance totale sur la question de l’autisme :
« Malgré tous nos efforts, nous n’arrivons pas à les convaincre. »
Une impression que partage David Heurtevent, 34 ans, détenteur de trois diplômes de l’enseignement supérieur et Asperger :
« C’est vraiment le mot “autiste” qui pose problème. »
Après plusieurs essais pour lui trouver un poste, le directeur du Cap emploi de sa région – un organisme spécialisé dans l’insertion professionnelle des personnes handicapées – lui a donné rendez-vous dans son bureau.
« Il m’a dit : “On va faire une petite expérience. Je vais téléphoner à un employeur et tu verras comment ça se passe.” Après avoir montré beaucoup d’intérêt pour le profil d’un travailleur handicapé bac+5, l’employeur a changé d’avis lorsque l’autisme a été évoqué. »
Sans préciser aux clients que les prestataires étaient autistes, « de peur de les inquiéter ».
« Les clients s’en sont rendu compte au bout d’un moment. »
Aujourd’hui, deux de ces trois jeunes sont salariés en entreprises.
« On leur a donné les premières marches pour se lancer dans le monde du travail. »
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