exil en suede / neurodiversité
extrait entretien Mme Picard 04.2016
Vous envisagez de vous exiler en Suède. Pourquoi ?
Oui, je l'envisage. Parce qu’ici les enfants sont exclus de l'école, et que ce n'est pas en institution que l'on apprend à un enfant manquant de compétences sociales quels sont les codes sociaux, comment avoir des amis, etc. Le référent de l'enfant, c'est son pair : si un enfant autiste évolue dans un milieu avec des enfants ordinaires il aura plus tendance à les copier, et donc apprendre d'eux. En Suède les handicapés ne le sont pas vraiment, car la société s'adapte à leur handicap. On voit beaucoup plus de handicapés dans les rues, en ville. Ici, ils sont parqués en institution. La France en a honte. En Suède, des formations sont données pour tous. Tout le monde sait ce qu'est le syndrome d'Asperger, tout le monde sait que l'autisme n'est pas dû à un trouble psychologique. Les enseignants créent eux-mêmes un groupe autour de l'enfant en difficulté, choisissent des enfants qui pourront l'aider. L'enfant est pris en charge un week-end par mois dans un camp de vacances, gratuitement. Une famille est nommée par l'Etat pour soutenir la famille touchée par le handicap. Il n'est pas concevable qu'un parent s'arrête de travailler pour son enfant. Le principal problème en France, c'est l'école. Il est déplorable et très révélateur que l'Education nationale n'intervienne pas dans les recommandations. Même avec toute la volonté des parents, même avec des recommandations de bonnes pratiques, qui de toute façon ne seront pas appliquées sauf sous éventuelles contraintes, rien, ou très peu de choses changeront en France. Les personnels d'institutions pourront continuer à faire tout ce qu'il veulent, personne ne les virera, personne ne lèvera le doigt si un enfant autiste est victime d'attouchements, ou surdosé en médicaments... Les Français s'en moquent. On ne peut pas toucher un enfant ordinaire, mais quand il est autiste, tout est permis. C'est ça la mentalité française, c'est ça le retard français, c'est LA qu'on le mesure. J'ai donc très peur de la réalité qui risque de se produire lorsque je ne serai plus là : que Julien soit placé en institution psychiatrique, avec un surdosage de neuroleptiques, à la merci de tout le monde, maltraité, attaché toute la journée en chambre d'isolement (beaucoup d'autistes aujourd'hui connaissent ce sort). Incapable de se défendre, et surtout, sans personne pour le défendre. Voilà. Beaucoup de parents ont très peur de cette réalité. Nous sommes comme des Noirs en apartheid, nos enfants ne valent rien. Les psychiatres sont protégés, soutenus par les candidats politiques. Depuis un article sur moi dans Libération, des parents m'envoient des emails : ils me demandent comment faire en pratique pour partir en Suède. Ils sont très motivés, mais qui ne le serait pas, pour sauver son enfant de ce pays ? Le fait que l'autisme soit grande cause nationale ne change rien. Les autistes sont toujours maltraités, les parents harcelés. C'est juste pour faire croire aux Français que ça y est, les choses bougent. Mais non, c'est l'inertie. Les politiques évitent le sujet... et rien ne bouge.
Avez-vous entendu parler du mouvement de la neurodiversité ? Qu'en pensez-vous ?
Oui, j'en ai entendu parler. Evidemment je suis pour ce mouvement, qui est pour moi logique, étant moi-même atypique. Un de mes objectifs est d'essayer d'ouvrir les yeux aux neurotypiques (c’est-à-dire les non autistes). Les candidats à la présidentielle prônent le changement, mais si on veut que notre société (qui est en échec) évolue, il faut que nous aussi évoluions, dans notre tête, et surtout dans nos croyances. Ce sont nos croyances qui conditionnent nos façons de penser, et donc d'agir. Comme le disait Proust : « Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux. » Les personne atypiques voient le monde autrement. Par exemple, moi je me fiche de l'argent : ça n'a pas de valeur pour moi, aucune. Je ne veux pas de maison, etc., ce n'est pas ça qui est important pour moi. Un ami poète, autiste, qui vient de mourir, écrivait :
Le monde que l'on connaît
N'est peut-être pas parfait
Mais s’ils voyaient en nous
Des êtres et non des choses
Nous pourrions vivre mieux
Nous pourrions tout apprendre
Nous pourrions vivre ensemble
Nous pourrions être
Et enfin, nous ne comprenons pas pourquoi, à propos d'autisme, la parole est donnée non aux autistes mais aux experts en autisme : c'est comme si vous vouliez étudier les coutumes japonaises et, au lieu d'interroger les Japonais, vous vous contentiez d'interroger des spécialistes occidentaux de la culture orientale.
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